- Vous avez pu lire notre pamphlet ?
Depuis son bureau, enfoncé dans un recoin de la pièce, elle agite la brochure « Pouvoir de la pensée, prières pour faciliter la guérison« .
- Oui, je l’ai lu. Un peu. J’avais au moins lu la première page à voix haute au dîner, pour faire rigoler la galerie.
- Vous habitez où ?
La question m’amuse et m’agace à chaque fois. Je sais bien que le tourisme médical se développe, mais seule »blanche » en vue dans les salles d’attente successives de cet hôpital, coincée cuisse contre cuisse entre des indiens de tout âge, toute caste et toute corpulence, ma présence est suffisamment incongrue pour ne pas imaginer en plus que j’ai fait 8000 kilomètres pour me rendre chez l’ophtalmo.
- J’habite à Mahalaxmi.
Elle a l’air un peu déçue.
- Oui mais, votre village de naissance, il est où ?
- Je suis française.
- Ah. Vous avez vraiment l’air très différente. Elle replonge le nez dans ses papiers.
Nous sommes dans le cabinet de Dieu, et c’est la première fois que j’y suis seule, si on excepte l’employée désormais très discrète. Une porte s’entrouve sur ma droite, et j’entends la voix de Dieu, j’aperçois aussi une quinzaine de personnes entassées avec lui durant ce que je suppose être une consultation. J’attends sagement qu’il vienne me délivrer la bonne parole, bercée par la musique religieuse diffusée par les haut-parleurs, tambourins et mélopées.
Je deviens peu à peu une déception pour le personnel de cet hôpital. Passé l’exotisme initial d’une patiente européenne, les capacités de récupération de ma rétine semblent vraiment insuffisantes.
- Alors, votre vision est redevenue parfaite ? me lance ce matin, toute guillerette, la « chargée de liaison opération de la rétine ».
- Pas exactement.
Elle a une moue désapprobatrice. Le personnel soignant a désormais compris que je n’ai pas récité les mantras de guérison. J’aurais du ? Il faut dire qu’ici tout le monde semble se placer sous la protection des dieux et vogue la galère. Comme mon chauffeur de taxi un peu plus tôt. J’estime qu’il a 3 fois l’âge de son véhicule, ce qui doit lui faire dans les 75 ans. Son compteur de vitesse est bloqué sur le zéro mais qu’à cela ne tienne, dans un rugissement du moteur, nous fonçons tel le vainqueur du marathon de New York à au moins 20 kilomètres à l’heure. C’est assez efficace, car en même temps, nous ne ralentissons jamais. Ni pour les feux rouges, ni pour les cyclistes, ni pour le rickshaw qui manque de nous frôler avant de faire une brutale embardée en croisant notre regard déterminé. Sous mes pieds, par les trous que la rouille a formés, je vois la route défiler. La carcasse du véhicule émet quelques grincements lorsque nous franchissons nids-de-poule et dos-d’âne, ce qui m’inquiète vaguement.
- Eh! Vous avez raté la sortie du sealink! lui criè-je.
Il me lance un regard, pile, se colle à la rambarde de sécurité, puis recule sur 200 mètres. Par la vitre arrière, je regarde un bus rouge foncer vers nous à ce qui me semble être une grande vitesse. Mon chauffeur ne faiblit pas. Je me détourne, et fixe avec ardeur la statue de Ganesh qui dodeline dans un nuage d’encens sur la plage avant.
Dieu croisé juste devant le portail de l’immeuble. Invocation pour ma vision, au cas où.
Quelle joie de retrouver ces récits. J’ai même eu l’impression de faire le trajet en taxi.
A propos de mantras : comme je vais au consulat indien demain matin déposer une demande de carte PIO, je pense qu’il faut que j’en dise un certain nombre d’ici ce soir pour que le personnel soit dans de bonnes dispositions et que les dieux acceptent ma demande
Je ne manquerai pas de toucher un mot à Ganesh à ton sujet !
Si je peux permettre, Ganesh a tout l’outillage pour dodeliner en toute sérénité (A moins que ça bringuebale des trucs pareils…)
Joli récit, haut en…rondeur.
@MHPA: non non, Ganesh il dodeline de la trompe. le taureau c’est pas un dieu, c’est le véhicule du dieu (tous les dieux ont un véhicule animal. Le dieu c’est celui avec les grandes oreilles, de dos on dirait Hanuman mais comme j’ai tourné avant de le voir de face …. Sans garantie!
@Patricia: tu es d’origine Indienne ? Good luck pour le PIO.
Hum, la monture de Ganesh a de sérieux… attributs : )
Moi non, mais mon mari oui.
Genial la description du trajet en taxi. Je n’ai encore jamais essaye mais ce n’est guere rassurant.
@Veronique: toi qui prends le rickshaw tous les samedi soirs, vas y sans crainte! Le taxi c’est bien plus soft
Bah ? Hélène. J’ai l’impression que le récit s’est terminé en queue d’poisson. Comment vous avez réussi à éviter le bus ? lol
Il faut dire qu’en inde c’est tellement de coutume de voir des statuettes de Dieu partout lol
Et dans la circulation..pffff …je ne compte même plus le nombre de fois que j’ai vu ma vie défiler. C’était devenu une habitude