A son arrivée en Inde, tout expatrié – enfin, surtout sa femme, car la division traditionnelle des taches à la vie dure en expatriation – se pose cette question fondamentale: « où est-ce que je vais faire mes courses ? »
Et cette question, les nouvelles venues vous la posent, à vous, qui avec vos sept années d’ancienneté à Bombay, faites figure de dinosaure en voie de naturalisation et prochainement exposée au Nehru Science Centre – un espace que vous n’avez jamais visité, vous l’avouez, mais vous y pensez à chaque fois que les embouteillages vous immobilisent à deux pas des crocs en plastique du tyrannosaure délavé par les moussons qui marque l’entrée du musée.
Alors vous élaborez: « pour les fruits et légumes « indiens », je les achète en bas de mon immeuble, mais si j’ai besoin de produits un peu plus exotiques, comme le brocoli ou de la roquette, je pousse jusqu’à Breach Candy. Pour la viande, j’ai un boucher à Malabar Hill, mais tu peux aussi trouver du poulet Godrej chez Nature Basket, ils ont du jambon aussi. Pour l’épicerie, j’ai mon « kirana », il me livre et je le paye au mois, pour les céréales, le lait. Bon, il est jain et il ne vend ni oeuf ni oignons, alors pour les oeufs …. ». Généralement la nouvelle venue vous coupe: « Mais, il n’y a pas un supermarché, où je pourrai faire toutes mes courses d’un coup ? »
Vous la regardez, l’air plein de commisération: « Il y a bien un hypermarché Reliance à Mumbai Central, mais je ne te le recommande pas ». C’est que vous l’avez testé, vous, cet hypermarché. Réparti sur deux étages sinistres et mal éclairés, il n’est fréquenté que par les mouches et quelques rares femmes en burka. Les allées s’étendent à perte de vue mais répètent les mêmes produits à l’infini. Ajoutez le fait que les quelques silhouettes que vous croisez au détour d’un rayon sont toutes de noir vêtues et le visage caché derrière leur voile, il se dégage de ce temple de la consommation une impression de monotonie et même d’angoisse. Vous mettrez un moment à trouver la sortie, sans rien acheter, mais vous noterez que la où la foule relative se presse, c’est autour de grands sacs de graines et riz et lentilles en vrac, dans une atmosphère surchauffée de fin du monde.
Non, vous préférez vos échoppes et marchés.
Pourtant, la question de la grande distribution en Inde est un sujet brûlant. Voilà des années que les grandes enseignes mondiales piaffent à l’idée d’entrer sur ce marché de un milliard de bouches à nourrir. Le sésame étant l’autorisation d’investir, le fameux FDI (foreign direct investment) qui agite la classe politique indienne depuis des années, le gouvernement étant pour, et l’opposition contre, clamant qu’autoriser l’investissement direct étranger dans la distribution, c’est signer la mort de mon épicier. A titre personnel, j’aime beaucoup mon épicier, qui détient le record mondial de pianotage sur calculette – et même si je vérifie parfois à la maison ses additions, je n’ai jamais pu le prendre en défaut. Mais objectivement, il faut reconnaître qu’un peu de rationalisation dans la distribution indienne ne serait pas superflue: fluctuations de la qualité des arrivages, pas d’arrivage du tout, ruptures de stock inexpliquées pendant des semaines. Et le gouvernement estime que 30% de la production de céréales et de légumes pourrit chaque année dans la chaîne de distribution. Un chiffre à rapprocher des 70 enfants qui meurent chaque jour de malnutrition dans le seul état du Maharashtra. Et des problèmes constants d’inflation à deux chiffres dans le secteur alimentaire.
Le problème, dans le système de distribution alimentaire en Inde, c’est le système de multiples intermédiaires, qui dans une véritable course de relais s’interposent entre le petit fermier (80% des exploitations font moins de deux hectares) et le vendeur qui étale ses tomates et ses oignons sur une toile de jute dans la cour de mon immeuble. Ces intermédiaires multiplient les coûts, écrasent les revenus des fermiers, ce à quoi il faut ajouter le mauvais état des routes et l’absence de transports réfrigéré.
Lorsque le gouvernement a enfin confirmé le 20 septembre 2012 qu’il autorisait l’investissement direct étranger à 51% dans le secteur de la distribution multimarques, c’est dans le but avoué de moderniser le secteur. Les investisseurs étrangers – qui devront dont être en partenariat avec une entreprise indienne – doivent s’engager à un investissement minimum de 100 millions de dollars, dont 50% sera consacré aux infrastructures telles que: chaîne du froid, contrôle qualité. Je rêve de voir un camion réfrigéré à Bombay, je saluerai son passage de joyeux coups de klaxon. Et 30% des produits devront provenir de petites exploitations/entreprises locales.
Wal-Mart, par exemple, réussit pour l’instant sa communication. Son porte-drapeau aujourd’hui, c’est Yogesh Todkari, un producteur de chou-fleur qui ne tarit pas d’éloges sur sa collaboration avec le géant de la distribution: « ils nous aident à obtenir des équipements d’irrigation, des graines de meilleure qualité, ils nous assistent du semis à la récolte et ils nous achètent nos produits plus chers que sur le marché ». Wal-Mart aurait signé des contrats directs avec 6,700 fermiers et planifie d’augmenter ce nombre jusqu’à 35,000.
Et le gouvernement, et les fermiers, et les consommateurs se prennent à rêver. Auchan, Tesco, Wal-Mart seront-ils en Inde des chevaliers blancs qui permettront au pays d’en finir enfin avec le gaspillage et l’inflation tout en améliorant la qualité des produits et le niveau de vie des fermiers ?
Mon épicier est tranquille, pour l’instant. Le manque de place à Bombay Sud et la cherté des loyers limitent sérieusement les possibilités d’implantation des grandes surfaces. Les 50 millions d’intermédiaires impliqués dans la chaîne de distribution alimentaire ont, eux, du souci à se faire. Un blogueur indien établit une comparaison entre les déclarations de John Kerry pendant la campagne présidentielle américaine (j’ai voté pour la guerre en Irak avant d’être contre) et la situation de l’investissement direct étranger dans le secteur de la distribution.
Wal-Mart restera-t-il aussi angélique qu’il en a l’air aujourd’hui, alors que le marché s’ouvre à peine ? Ce qui est sûr, c’est que le système a besoin de modernisation et de rationalisation.
« Et pour les courses, tu fais comment, alors ? »
Très intéressant !
Dans mon cher Pune, c’était la petite supérette Reliance une fois toutes les 3 semaines, et l’épicier à 50m qui fait crédit sur un mois.
Mais resto presque tous les midis et tous les soirs, parce que c’était souvent moins cher que de cuisiner à la maison… Rien qu’avec le prix de la plaquette de beurre salé !
question cruciale a l’arrivee effectivement …. Juste pour dire que le nord de Bombay, voire Navi Mumbai, ont des supermarches tres corrects (Haiko a Powai, Hypercity a Vashi)… mais c’est bien sur moins typique …
Bonjour Hélène,
fervente lectrice et admiratrice de votre blog, je me permets de vous contacter car je souhaiterais recueillir votre témoignage pour un article sur les conseils aux voyageurs visitant ce merveilleux pays.
L’ article paraitra sur notre blog : http://blog.edreams.fr/
Nous donnerons des conseils concernant les catégories suivantes : Moyens de transport, religion, culture, shopping, nourriture…
Auriez-vous quelques petits conseils à partager avec nous ? Des « tips » suite à votre expérience et qui pourraient aider ceux qui n’ont encore jamais mis un pied en Inde.
Nous vous citerions (ainsi que votre blog et lien vers celui-ci) dans l’article.
Ce serait vraiment super !
Merci d’avance,
Amicalement,
Alice